Sur les liens entre la mythologie du "kojiki" et le nationalisme au Japon
Version préliminaire - avril 2010 - Travail lié à une écriture théâtrale sur les mythes fondateurs japonais
Le Kojiji est le plus ancien ouvrage japonais dont nous avons conservé la trace. Il s’agit d’une tentative de reconstitution de l’histoire du Japon, depuis l’âge des divinités jusqu’à l’époque contemporaine de son écriture. Il présente donc à la fois des aspects mythologiques et, pour les parties les plus récentes, des faits historiques relatifs à la cour impériale.
A l’époque de la rédaction du Kojiki, la centralisation du Japon autour de la cour impériale était chose encore jeune. En outre, l’empereur de l’époque avait dû prendre le pouvoir à la suite de lutte avec une autre branche de la famille impériale. Les temps étaient politiquement troublés… et l’entreprise de collecter les « mythes » et de construire une filiation entre l’Empereur et le Ciel n’est sans toute pas anodin.
Quant à l’incorporation de clans puissants et des divinités tutélaires de ces clans dans une hiérarchie divine, il est difficile de ne pas y voir un projet politique. (Un exemple classique est la région d’Izumo qui semble avoir été un contre-pouvoir puissant de la cour du Yamato et qui se trouve intégré à la hiérarchie impériale via Susano-wo.)
Au fil des siècles, ce Kojiki a été oublié. Oh, certainement pas tout son contenu ; les mythes et légendes qu’il contient font pour certains parties du patrimoine culturel japonais. Parfois, sous des formes modifiées (et d’ailleurs, il semble même qu’il y avait des différences entre les mêmes faits rapportés dans le Kojiki et dans le Nihonshoki, datant pourtant de la même période)
De même, l’Empereur lui-même a été oublié. Bien sûr, l’aristocratie et les hauts samourais, daimyos etc. appuyaient leur légitimité sur lui, mais si le reste de la population savait probablement qu’un Empereur existait quelque part, du coté de Kyôto, cela devait être quelque chose de très abstrait, vague…
Entour, si les Lettrés ont continué pendant des siècles à étudier le Nihonshoki, le Kojiki, lui, est tombé dans l’abandon… jusqu’à Motoori Norinaga.
Ce personnage est fort important dans l’histoire de la pensée au Japon. Médecin de l’époque Edo qui habitait Matsusaka (riche ville commerçante, non loin du sanctuaire d’Ise), il occupait ses loisirs à lire le Kojiki et à rédiger à son propos une énorme analyse, le « Kojikiden ». A travers le Kojiji, il voulait retrouver l’esprit du Japon d’avant l’influence continentale (c'est-à-dire d’avant le Bouddhisme, le Confucianisme, le néoconfucianisme, le Taôisme, les théories du Yin et du Yang, des 5 éléments…). Car, à l’époque Edo, le shintô lui-même avait été tant influencé par les éléments continentaux qu’il y avait, pour Motoori, un enjeu de taille à retrouver le « Shintô des origines » (fukkô shintô)
Hirata Atsutane, après lui, a repris certains de ses travaux avec un esprit plus politique, un premier pas vers un certain « nationalisme ».
D’autres encore on finit par construire cette idée d’un « esprit japonais » et d’un pouvoir issu de l’Empereur. Ce mouvement de pensée est le « Kokugaku » (études nationales ou « études nativistes »). Il y avait bien d’autres mouvements de pensées concurrents à la même époque…
… mais ceux qui ont fait la restauration de Meiji en 1868, ont baigné dans ce mouvement culturel-là, et cherchant un modèle, une légitimité au nouveau pouvoir ils ont ressorti les vieilles idées du Kojiki pour en faire une base : pouvoir basé sur l’Empereur (encore une fois, cela n’avait plus rien d’évident à l’époque ; et cela tombait bien : il était jeune et – a priori ! – malléable) ; importance de la religion ancienne, le shintô, au détriment du bouddhisme (séparation des syncrétismes bouddhique/shintô et vaste mouvement de destruction de temples bouddhistes), fusion du Religieux et du Pouvoir (rétablissement d’un Ministère des Rites, comme à l’époque antique !), « Shintô d’État », établi comme « religion obligatoire et universelle »….
Ce dernier point est important : il y a un shinto d’État (qui bientôt, hypocritement, n’a plus été une religion mais un devoir civique… histoire de ne plus choquer les Occidentaux). Ce devoir oblige chaque citoyen à s’inscrire et à fréquenter son sanctuaire d’attache ; et par ce biais passeront beaucoup de messages provenant du gouvernement. Lors de la guerre russo-japonaise, puis plus tard jusqu’à la marche vers la guerre du Pacifique, ce shintô d’État a été l’instrument d’une vaste entreprise de manipulation des foules… [tout comme après la défaite de 1870, la toute nouvelle éducation nationale de Jules Ferry a servi à infuser dans les jeunes cerveaux hexagonaux une haine de l’Allemand et un esprit revanchard qui faciliteront bientôt leur envoie dans les tranchées de Verdun)
Il a ensuite longtemps porté comme un boulet cette accointance avec le Pouvoir et le shintô traversera une longue période de crise dans l’après-guerre.
A noter qu’en dehors de ce shintô officiel pouvaient s’épanouir des shintô « indépendants » dits « shintô des écoles ». Parmi ceux-ci, le plus récent (1908), le plus connu et probablement le plus actif est la religion de Tenri (Tenri-kyû) qui possède même une antenne à Paris dont est issu le centre culturel Bertin-Poirée.
Le Kojiji est le plus ancien ouvrage japonais dont nous avons conservé la trace. Il s’agit d’une tentative de reconstitution de l’histoire du Japon, depuis l’âge des divinités jusqu’à l’époque contemporaine de son écriture. Il présente donc à la fois des aspects mythologiques et, pour les parties les plus récentes, des faits historiques relatifs à la cour impériale.
A l’époque de la rédaction du Kojiki, la centralisation du Japon autour de la cour impériale était chose encore jeune. En outre, l’empereur de l’époque avait dû prendre le pouvoir à la suite de lutte avec une autre branche de la famille impériale. Les temps étaient politiquement troublés… et l’entreprise de collecter les « mythes » et de construire une filiation entre l’Empereur et le Ciel n’est sans toute pas anodin.
Quant à l’incorporation de clans puissants et des divinités tutélaires de ces clans dans une hiérarchie divine, il est difficile de ne pas y voir un projet politique. (Un exemple classique est la région d’Izumo qui semble avoir été un contre-pouvoir puissant de la cour du Yamato et qui se trouve intégré à la hiérarchie impériale via Susano-wo.)
Au fil des siècles, ce Kojiki a été oublié. Oh, certainement pas tout son contenu ; les mythes et légendes qu’il contient font pour certains parties du patrimoine culturel japonais. Parfois, sous des formes modifiées (et d’ailleurs, il semble même qu’il y avait des différences entre les mêmes faits rapportés dans le Kojiki et dans le Nihonshoki, datant pourtant de la même période)
De même, l’Empereur lui-même a été oublié. Bien sûr, l’aristocratie et les hauts samourais, daimyos etc. appuyaient leur légitimité sur lui, mais si le reste de la population savait probablement qu’un Empereur existait quelque part, du coté de Kyôto, cela devait être quelque chose de très abstrait, vague…
Entour, si les Lettrés ont continué pendant des siècles à étudier le Nihonshoki, le Kojiki, lui, est tombé dans l’abandon… jusqu’à Motoori Norinaga.
Ce personnage est fort important dans l’histoire de la pensée au Japon. Médecin de l’époque Edo qui habitait Matsusaka (riche ville commerçante, non loin du sanctuaire d’Ise), il occupait ses loisirs à lire le Kojiki et à rédiger à son propos une énorme analyse, le « Kojikiden ». A travers le Kojiji, il voulait retrouver l’esprit du Japon d’avant l’influence continentale (c'est-à-dire d’avant le Bouddhisme, le Confucianisme, le néoconfucianisme, le Taôisme, les théories du Yin et du Yang, des 5 éléments…). Car, à l’époque Edo, le shintô lui-même avait été tant influencé par les éléments continentaux qu’il y avait, pour Motoori, un enjeu de taille à retrouver le « Shintô des origines » (fukkô shintô)
Hirata Atsutane, après lui, a repris certains de ses travaux avec un esprit plus politique, un premier pas vers un certain « nationalisme ».
D’autres encore on finit par construire cette idée d’un « esprit japonais » et d’un pouvoir issu de l’Empereur. Ce mouvement de pensée est le « Kokugaku » (études nationales ou « études nativistes »). Il y avait bien d’autres mouvements de pensées concurrents à la même époque…
… mais ceux qui ont fait la restauration de Meiji en 1868, ont baigné dans ce mouvement culturel-là, et cherchant un modèle, une légitimité au nouveau pouvoir ils ont ressorti les vieilles idées du Kojiki pour en faire une base : pouvoir basé sur l’Empereur (encore une fois, cela n’avait plus rien d’évident à l’époque ; et cela tombait bien : il était jeune et – a priori ! – malléable) ; importance de la religion ancienne, le shintô, au détriment du bouddhisme (séparation des syncrétismes bouddhique/shintô et vaste mouvement de destruction de temples bouddhistes), fusion du Religieux et du Pouvoir (rétablissement d’un Ministère des Rites, comme à l’époque antique !), « Shintô d’État », établi comme « religion obligatoire et universelle »….
Ce dernier point est important : il y a un shinto d’État (qui bientôt, hypocritement, n’a plus été une religion mais un devoir civique… histoire de ne plus choquer les Occidentaux). Ce devoir oblige chaque citoyen à s’inscrire et à fréquenter son sanctuaire d’attache ; et par ce biais passeront beaucoup de messages provenant du gouvernement. Lors de la guerre russo-japonaise, puis plus tard jusqu’à la marche vers la guerre du Pacifique, ce shintô d’État a été l’instrument d’une vaste entreprise de manipulation des foules… [tout comme après la défaite de 1870, la toute nouvelle éducation nationale de Jules Ferry a servi à infuser dans les jeunes cerveaux hexagonaux une haine de l’Allemand et un esprit revanchard qui faciliteront bientôt leur envoie dans les tranchées de Verdun)
Il a ensuite longtemps porté comme un boulet cette accointance avec le Pouvoir et le shintô traversera une longue période de crise dans l’après-guerre.
A noter qu’en dehors de ce shintô officiel pouvaient s’épanouir des shintô « indépendants » dits « shintô des écoles ». Parmi ceux-ci, le plus récent (1908), le plus connu et probablement le plus actif est la religion de Tenri (Tenri-kyû) qui possède même une antenne à Paris dont est issu le centre culturel Bertin-Poirée.